La dernière chose à laquelle je m’attendais en allant voir La Bolduc, c’était d’être impressionné par la musique. J’ajouterai que je trouvais aussi les producteurs bien audacieux de faire un film sur une vedette québécoise morte en 1941.
Mais les sceptiques, comme disait le capitaine Bonhomme, seront confondus.
Audacieux? «Pas tant que ça» selon le réalisateur François Bouvier. Bouvier est celui qui a réalisé au cinéma Paul à Québec entre autres, et qui, en parallèle à ses projets au cinéma, a réalisé depuis deux décennies beaucoup de séries télé, dont Ruptures, Mirador III, quelques saisons de 30 vies, Les hauts et les bas de Sophie Paquin, et d’autres.
«Pas si audacieux que cela, dit donc François Bouvier, parce que c’est un film porté par des personnages puissants, charismatiques, et attachants, et des textes savoureux dans une langue de chez nous.»
Le réalisateur tient cette promesse. Et bien davantage.

«Blogueuse» avant son temps
«La Bolduc était une sorte de blogueuse avant son temps, dit-il, dans la mesure où elle racontait sa vie de tous les jours. Elle chantait sa réalité.»
Une réalité qui est celle du Québec au début du 20e siècle. Presque la préhistoire. En fait, si vous avez moins de 77 ans aujourd’hui, La Bolduc est morte avant votre naissance.
Malgré cela, le film fait le pari de rejoindre beaucoup de personnes. «On fait toujours des films pour qu’il soient vus le plus possible, dit François Bouvier. La musique, elle n’est pas oubliée: elle fait partie de notre vie. On l’entend en background au temps des Fêtes.»
Malgré les années, cette musique colle à notre identité. Au point où elle est l’épine dorsale du film. Les rares personnes qui ne reconnaîtront pas au moins un air de ses turlutes risquent quand même d’être séduits par cette musique qui est toujours joyeuse et rythmée. À un point tel que le disque de Debbie Lynch-White, La Bolduc, connaît un énorme succès.
Un régal de sons et d’images
Beaucoup de Québécois(moi le premier) associent à La Bolduc un son métallique et distant, presque timide, accompagné du bruit d’une aiguille dans le sillon d’un 78 tours. Voilà sans doute une des clés de la réussite du film. Ça sonne!
Même si on a respecté les arrangements simples de l’époque, avec quelques ajouts subtils, la bande son fait plaisir à entendre. Elle mise sur l’interprétation remarquable de Debbie Lynch-White et elle est techniquement impeccable. Même chose pour les images, où les décors, la photo et les effets numériques se combinent sans bavure pour montrer les quartiers populaires du Montréal des années 1920 par le biais d’images tout à fait actuelles.
Dans le film, La Bolduc chante sa cuisine, la grocery du coin, la misère des années 1920. Sa carrière et son énorme succès privent son mari du rôle traditionnel de pourvoyeur, et provoquera des tensions dans leur relation. Ses activités déplaisent au clergé qui n’aime pas sa musique trop enlevante. Un curé lui dira qu’elle devrait retourner s’occuper de ses enfants, mais accepte ensuite sa quote-part de l’argent recueilli à la porte…
Deux solitudes
À cette réalité très populaire se colle aussi celle de Montréal à une époque ou la différence entre l’Est et l’Ouest, entre anglos et francos, entre hommes et femmes, entre les puissants et le peuple étaient énormes.
Le scénario aborde la facette hommes/femmes par le biais de Thérèse Casgrain, une pionnière du féminisme québécois, dont l’histoire apparaît de temps à autre, comme un sillon parallèle à celui de la vie de Mme Bolduc. Personne ne croira que La Bolduc était une féministe. Mais l’association entre son vécu et l’émancipation des femmes permet au film de se donner une certaine modernité.
François Bouvier reconnaît tout de go qu’aucun fait historique ne permet de croire que Thérèse Casgrain et La Bolduc se sont rencontrées ou été complices de la moindre façon. Mais la synchronicité entre le décès de La Bolduc et l’arrivée du droit de vote des femmes, survenu quelques mois avant, permet au film, qui n’a aucune prétention documentaire, de s’imaginer ce qui aurait pu être.
La fille de la célèbre chanteuse désire une vie différente de celle de sa mère. Ça passe bien et ça permettra sans doute à de nombreux cinéphiles de mieux comprendre l’époque.
Un rôle marquant pour Debbie Lynch-White
Debbie Lynch-White, que plusieurs connaissent via son rôle de Nancy Prévost dans Unité 9, offre une prestation remarquable. Elle incarne le personnage et elle chante les chansons comme s’il existait en elle un peu de l’ADN de madame Bolduc.
Plusieurs y voient un point tournant de sa carrière, certains parlent du rôle d’une vie. Chose certaine, l’empreinte est permanente.
«Je ne connaissais pas vraiment Debbie. Je l’avais vue à la télé, dit François Bouvier. Elle faisait partie d’une short list de comédiennes que nous avions choisies pour des auditions. Vous savez les auditions, ça dure habituellement une quinzaine de minutes, on écoute, on regarde, on échange des politesses et on passe au suivant. Mais pour Debbie ça a duré deux heures. Et à la fin, nous savions que le rôle serait à elle.»
«J’espère que la Bolduc laissera aux spectateurs un regard sur une femme remarquable et une vision de l’époque du Québec où les droits des femmes faisaient leur chemin. C’est pas un film didactique, ni un documentaire, mais je pense qu’il marque un moment important de notre histoire», nous a dit le réalisateur.
Il appartient maintenant aux cinéphiles de décider. Ils y trouveront 103 minutes savoureuses. Ça sonne admirablement bien. Comme les comédiens du film, les spectateurs auront probablement le goût de taper du pied et de sortir les cuillères. Je crois même que Thérèse Casgrain aurait tapé du pied…
https://www.youtube.com/watch?v=CCI6rmxPqW4
La Bolduc est un film de François Bouvier, avec Debbie Lynch-White, Émile Proulx-Cloutier, Rose-Marie Perrault, Bianca Gervais, Mylène Mackay, Yan England, Serge Postigo, Germain Houde, Paul Doucet, et Luc Senay.