Mes recherches en vue de retracer l’histoire plus régionale de la Crise d’octobre 1970 et la Loi des mesures de guerre dont on vit le cinquantième anniversaire en 2020 m’ont permis de découvrir qu’une cellule officielle du Front de libération du Québec(FLQ) avait élu domicile, en juin 1970, dans un chalet de Prévost et qu’un groupe felquiste, sans constituer une cellule formelle, s’était installé à Bellefeuille en 1971.
Ainsi on retrouvera la cellule Pierre-Paul Geoffroy, du nom de son fondateur, à Prévost, alors que le « groupe Bellefeuille » se retrouvera dans ce qui était encore un village en 1971. Bellefeuille, fusionné en 2002, avec sa voisine plus au sud, Saint-Jérôme. La grande majorité des informations de cet article proviennent du livre « FLQ, Histoire d’un mouvement clandestin » (Louis Fournier, VLB éditeur, 2020).
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Le chalet de Prévost et la cellule Geoffroy
Le printemps et l’été qui ont précédé la Crise d’octobre auraient été qualifiés, par les forces policières, comme étant la période la plus active concernant les activités du FLQ et ce, depuis la naissance de ce mouvement clandestin en 1963. Tant les hold-ups, les fraudes, les vols de dynamite que les explosions se multipliaient sans relâche depuis le début de cette année 1970. Le FLQ se faisait alors omniprésent dans l’actualité québécoise et apparaissait de mieux en mieux organisé.
Aussi, l’idée d’un enlèvement politique se concrétisa alors chez les felquistes et ce qui se planifiera, c’est le rapt d’un consul états-unien, soit Harrison W. Burgess, représentant des USA à Montréal. Le FLQ fonctionne avec ce qu’il est convenu d’appeler des « cellules » (groupe de personnes au nombre variable qui planifie ensemble leurs actions clandestines) et c’est la cellule Pierre-Paul Geoffroy qui concocte ce projet.
Il faut se rappeler que le FLQ imite en ce sens les mouvements révolutionnaires de partout dans le monde en voulant procéder à des enlèvements politiques qui serviront d’échange à la libération de prisonniers. Ainsi en est-il entre autres du Brésil, de l’Argentine, du Pays basque, de l’Uruguay, du Guatemala et de la Palestine.
Au Québec, plusieurs dizaines de felquistes ont été emprisonnés depuis 1963, notamment Pierre Vallières, Charles Gagnon et le chef de la cellule Geoffroy, Pierre-Paul lui-même, qui a été incarcéré après avoir été déclaré coupable par le tribunal le 1er avril 1969, de 31 attentats à la bombe. Ce que souhaitent les membres de la cellule Geoffroy, c’est d’échanger le consul qu’ils auraient kidnappé contre la libération et un sauf-conduit (réalistement pour Cuba ou l’Algérie, deux pays où les felquistes ont déjà des contacts), notamment de leur leader Geoffroy.
Depuis janvier 1970, le FLQ s’était ausssi lancé dans l’achat et la location de plusieurs immeubles tant à Montréal, sur la Rive-Sud comme un peu partout au Québec, pour poursuivre sa guérilla. Ainsi avait-il avait acheté une maison à Longueuil et une à Saint-Hubert ( là où a été assassiné le ministre Pierre Laporte) et une ferme à Sainte-Anne-de-la-Rochelle, en Estrie. La location d’un chalet, en bordure de l’autoroute 15 à Prévost par le felquiste André Roy, s’inscrit dans cette démarche. Le FLQ avait besoin de locaux tant pour loger ses militants, cacher ses armes et explosifs, que pour planifier ses activités.
C’est en enquêtant sur un vol commis par le FLQ, en mai 1970 (celui de la Caisse populaire de l’Université de Montréal) que le sergent-détective Gilles Masse, de la Section antiterroriste de Montréal, retracera le signataire du bail du chalet de Prévost et auteur du hold-up, André Roy, alors inconnu des policiers. Suivant diverses opérations de surveillance, d’écoute électronique, la filature du felquiste Roy permettra de retracer le chalet de Prévost et d’y faire une descente.
Le 21 juin 1970, les policiers procéderont à l’arrestation, à Prévost, d’André Roy, 23 ans, de sa conjointe Nicole Boileau, ainsi que deux jeunes travailleurs de 21 ans: François Lanctôt et Claude Morency. Les forces de l’ordre y saisiront trois carabines à canon tronçonné, des revolvers et des munitions, des cagoules et des menottes; des détonateurs et des mécanismes d’horlogerie pour fabriquer des bombes et une somme de 28 620$, soit la moitié du magot du vol à l’Université de Montréal, celui commis auparavant par Roy et sur lequel enquêtait le sergent-détective Masse.
Fait cocasse, ce raid policier permettra aussi de retrouver l’adresse d’une ferme de Sainte-Anne-de-la-Rochelle, près de Waterloo en Estrie. C’est là où vivaient les felquistes Jacques Lanctôt, sa femme Suzanne Lapierre, Paul Rose, Jacques Rose, Lise Balcer, Francis Simard, Marc Carbonneau. Le FLQ avait acheté cet endroit en vue d’en faire un repaire bien sûr, mais aussi un centre d’entraînement et la « prison du peuple » pour y cacher le consul états-unien après son enlèvement prévu.
André Roy, François Lanctôt et Claude Morency seront traduits en cour sous 44 chefs d’accusation dont celui de conspiration pour enlever le consul américain. Étrangement, et c’est là une autre histoire, les policiers échapperont l’ensemble des autres felquistes cachés à la ferme en Estrie.
Ce raid va tout de même désarçonner le FLQ et forcer ses militants à se réorganiser. Les felquistes Rose, Simard et compagnie devront désormais imaginer, dans leur sombre dessein, d’autres otages à enlever et, bien entendu, d’autres endroits pour les y cacher…
Les policiers avaient, sans vraiment le savoir, donné un grand coup au FLQ!
De toutes les personnes que j’ai questionnées lors de la rédaction de ces chroniques, aucune n’a été en mesure de me confirmer formellement l’endroit précis où était ce chalet ni si la propriété existe encore. Tout au plus certaines personnes auraient prétendu que des enfants de Prévost auraient trouvé en 1970, dans une maison abandonnée, un coffre contenant plus de 20 000$. Ce qui serait vraisemblablement une « fausse nouvelle ». Il faut dire, somme toute, que la cellule Geoffroy et ses locataires felquistes n’auraient occupé cet immeuble que fort brièvement avant leur arrestation.
J’espère toujours qu’un.e citoyen.ne de Prévost (ou d’ailleurs) pourra me situer ce chalet qui a servi au FLQ à l’été 1970. Si l’immeuble existe toujours, bien entendu.
La maison de ferme de Bellefeuille et le FLQ
S’il est un autre endroit dont j’aimerais connaître l’adresse pour en prendre une photographie, c’est bien la maison de ferme de Bellefeuille où des militants et sympathisants felquistes avaient établi leur quartier général en juin 1971.
La suite la semaine prochaine!
Merci,chronique fascinante
Merci de ce commentaire M. Huot, la semaine prochaine, je traiterai de la présence du FLQ à Bellefeuille, en 1971.