À Saint-Jérôme, un centre-ville qui a besoin d’amour

La rédaction de TopoLocal 8 commentaires

TopoLocal vous présente dans les lignes qui suivent l’intégrale d’un dossier préparé par les étudiants du cours de journalisme du Cégep de Saint-Jérôme (CSTJ). Ses auteurs sont Axel Curnock, Amy Gagnon-Letarte, Laurence Majeau, Meganne Masse, Alex Néron, Ricardo Rojas-Benoit et Isabella Thibault et leur professeure Mariève Desjardins.

Le centre-ville de Saint-Jérôme semble à la croisée des chemins, entre le déclin et le renouveau. D’un côté, la fermeture du seul magasin à grande surface laisse poindre un désert alimentaire, mais de l’autre, plusieurs initiatives prometteuses bourgeonnent. Reportage sur le terrain, au cœur d’une réalité pleine de contrastes.

« Notre centre-ville a besoin d’amour », lance tout de go Marc-Olivier Neveu, candidat pour Québec solidaire dans la circonscription de Saint-Jérôme lors des prochaines élections provinciales. À son avis, beaucoup de développements récents au centre-ville ont surtout été d’ordre esthétique : « Ce n’est pas en ajoutant du pavé uni qu’on revitalise un centre-ville », explique le jeune politicien de 22 ans, qui, aux dernières élections municipales, avait réussi à obtenir 25% des voix pour son parti Mouvement Jérômien. Ancien étudiant du CSTJ, il étudie maintenant en urbanisme à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Il connaît le dossier comme le fond de sa poche, et a une vision claire pour le futur de la municipalité. 

Redorer une réputation

Marc-Olivier Neveu aime sa ville, dont il rappelle le passé, marqué par de florissantes industries du textile dans la première moitié du 20e siècle, puis les années 1960, plus pénibles pour cette ville, qui a subi de plein fouet la désindustrialisation : fermeture d’usines, pertes d’emplois, et la problématique de la pauvreté qui s’ensuit. 

Marc-Olivier Neveu, alors qu’il était candidat à la mairie de Saint-Jérôme en 2021.

Il s’attriste de la réputation de la ville dont il entend souvent parler comme d’une « une ville de BS, de tout croches, d’itinérants ». Lionel Ducreau, propriétaire de la boulangerie artisanale Deux gars dans l’pétrin, ouverte au centre-ville depuis 2014, note une évolution dans le profil de sa clientèle, qui est de plus en plus variée. « Mais les clichés sont tenaces », rappelle-t-il, à propos de cette réputation ternie.

Les chiffres démontrent que cette perception n’est pas bâtie que sur de fausses impressions: l’indice de vitalité économique de Saint-Jérôme est en recul depuis plus de 10 ans, passant du 290e rang des villes de la province du Québec en 2006, au 370e rang en 2018, selon des données obtenues sur le site de la Ville de Saint-Jérôme. La pandémie n’a certainement pas amélioré cette stigmatisation: des 60 itinérants gravitant autour du centre-ville avant la COVID-19, ils sont maintenant 150, explique Marc-Olivier Neveu. 

Autre élément qui va dans le sens d’une dévitalisation: à la fin du mois de mai, le magasin décrit par ses clients comme le « dépanne-tout du centre-ville », le seul commerce avec un rayon d’épicerie, fermera ses portes. À quelques semaines de la fermeture, la désolation y est perceptible : le quart du magasin est vide, plusieurs marchandises sont en liquidation, des étagères ont été retirées. Mais le dépit s’observe aussi chez les clients et les employés. Auprès de ceux interrogés, un consensus apparaît: ils devront désormais aller plus loin, et en véhicule, pour acheter des denrées de base. Si certains auraient préféré se déplacer à pied pour garder la forme, les grands perdants sont ceux qui n’ont pas accès à une voiture, comme le rappelle une caissière rencontrée cette journée-là. 

Quelques jours avant sa fermeture définitive, le magasin Tigre Géant du centre-ville de Saint-Jérôme est déjà presque désert.
Le magasin Tigre Géant, dernier commerce du centre-ville de Saint-Jérôme qu’on pouvait qualifier de grande surface, ferme sous peu de façon définitive.

Si le centre-ville a déjà abrité des épiceries, elles sont maintenant reléguées plus loin. Pourtant, plusieurs personnes habitent le centre, remarque un habitué. « On devrait garder une partie car il y a une vie dans le centre-ville, ce n’est pas juste les bars. C’est ridicule, y’a pas grand magasin à part ici pour revenus moyen ou faible ». « Ils vont être obligés de payer plus cher car tout est plus cher ailleurs », clame un autre client interrogé. 

Revivre ensemble

Le développement économique et résidentiel à Saint-Jérôme s’est fait selon la logique de l’étalement urbain, ce qui a contribué à dévitaliser le centre, croit Marc-Olivier Neveu : « On a rasé des milieux boisés et des milieux humides pour faire des bungalows. Le clou dans l’cercueil, ça été le développement des géants en périphérie de la 15 ». En effet, il n’est pas facile de contrer la concurrence des grandes bannières pour les commerçants du centre-ville. 

Le jeune politicien remarque toutefois un engouement pour les commerces locaux qui s’implantent depuis quelques années dans le centre. En plus de la proximité, ils offrent une plus-value selon lui: « Ce sont des lieux avec une âme », enthousiasme-t-il, avec à la main un café acheté avant l’entrevue à La Petite Voisine.  

« La mission de la Petite Voisine, ça part évidemment de la passion du café, mais c’est aussi une façon de faire notre part pour la revitalisation du coeur de la ville. On veut que ce soit vivant ici, on veut que les gens se rencontrent, qu’il y ait une vie sociale et culturelle. On veut briser le cercle vicieux où moins de commerces attirent moins de monde, etc. Au contraire, avec tous les autres commerçants du centre-ville, on a le goût de faire partie d’une vague qui commence », dit Pamela Ghaleb, propriétaire du café La Petite Voisine.

L’ambiance à ce café, qui a ouvert ses portes en 2019, est en effet bien distincte de celle du Tim Hortons, pareille d’une franchise à l’autre. En avant-midi, plusieurs tables sont occupées et la clientèle est très diversifiée: des étudiants de l’UQO, des jeunes mamans avec poussette, des habitués qui viennent lire le journal le temps d’un latté. « Avant, le centre-ville, c’était pas mal juste de vieux bars où les mononcles allaient. Les jeunes n’avaient pas de place où aller. On commence à la trouver », lance Lauri Bouchard, barista à La Petite Voisine. Sa collègue Ève Marie Nadon abonde dans le même sens. 

Marylène Fréchette et Francis Labonté ont voulu créer un magasin général écoresponsable, où l’on trouve autant des produits divers que des aliments, le tout avec une approche de zéro déchet, de fournitures et fournisseurs locaux.
Lionel Ducreau fête ses 8 ans à titre de propriétaire unique de la boulangerie Deux gars dans l’pétrin. Celui dont le commerce prépare pour cet été des agrandissements estime que le centre-ville peut envisager l’avenir avec confiance. « On a un beau centre-ville, qui mise sur une rivière et des accès formidables. Je pense que plusieurs des commerçants vous diront que si on offre des produits et des services de qualité dans une ambiance agréable, les clients seront au rendez-vous. Non seulement ils y sont, mais ils nous sont fidèles.»
En cette période de pénurie de main-d’oeuvre, Lionel Ducreau a réduit les heures d’ouverture de sa boulangerie, désormais fermée les dimanches, lundis et mardis. D’ailleurs l’affiche à côté de celle-ci indique qu’on demande des boulangers, des pâtissiers et des commis.

Depuis que quelques commerçants partageant la même vision se sont implantés à quelques coins de rue de distance, ils tissent des liens. Des collaborations entre La Petite Voisine, les Deux gars dans l’pétrin, et la boutique Encore éco sont nombreuses.

Marylène Fréchette, propriétaire de cette boutique et friperie qui met de l’avant les choix écoresponsables prône également une approche très inclusive du commerce: « Nous sommes un “bienvenue à tous”! On veut approvisionner tout le monde, accompagner les gens vers des alternatives pour qu’ils puissent faire de meilleurs choix éco responsables », présente-t-elle, en nous guidant vers l’étage au-dessus de sa boutique, lieu collaboratif ouvert pour des cours de danse, de boxe, la massothérapie ou la location de salles pour étudiants. D’ailleurs, elle a implanté une mesure incitative pour sa clientèle: des rabais pour les étudiants, les Jérômiens, et tous ceux qui utilisent le transport vert ou actif. 

Marylène Fréchette et Francis Labonté ont voulu créer un magasin général écoresponsable, où l’on trouve autant des produits divers que des aliments, le tout avec une approche de zéro déchet, de fournitures et fournisseurs locaux.

Marc-Olivier Neveu croit aussi que c’est à travers la mixité des usages et des populations que se trouve la solution vers une plus grande vitalité: « Il faut qu’il y ait de tout, que ce soit une réalité sociale hétérogène ».

Vers l’avenir 

Comment attirer de nouveaux résidents au centre?  Véronique Leblanc, directrice des communications à l’Université du Québec en Outaouais, sur le campus de Saint-Jérôme, mise beaucoup sur la population étudiante. En effet, elle est plus qu’enthousiaste à propos du futur du campus de l’université situé au cœur des Laurentides. Inaugurée en 2010, celle-ci était le résultat du souhait du maire Marc Gascon de l’époque: faire de Saint-Jérôme une ville universitaire.

Selon Véronique, ce projet est une grande réussite: « Les jeunes sont très intéressés de venir étudier dans les Laurentides. » Des 2500 étudiants, environ la moitié sont inscrits dans le programme de sciences infirmières. Le prochain objectif, selon elle, serait maintenant de développer de nouveaux programmes. Un autre avantage que possède l’UQO est la proximité du centre-ville et les activités de plein air: « Les étudiants apprécient le fait qu’ils puissent aller descendre une piste de ski entre deux cours », affirme la directrice des communications, qui mise sur la qualité de vie. 

Véronique Leblanc, agente d’informations, affirme que l’UQO mise sur le potentiel de Saint-Jérôme et sa région pour attirer des étudiants qui y viennent pour la qualité de vie et un environnement ahréable. « L’objectif de l’Université est de développer de nouveaux programmes offerts à Saint-Jérôme pour accroître ce potentiel », dit-elle.
Le Cégep de Saint-Jérôme est un moteur important de l’achalandage du centre-ville.
Le centre-ville abrite également le restaurant-école du cégep local.

Une chose qu’il resterait à peaufiner est l’offre de résidences puisque plusieurs étudiants ne sont pas du coin, preuve que l’UQO est attrayante. Plusieurs viennent de Montréal, de Mont-Tremblant, et même de la Rive-Sud. 

Avec une hausse démographique supérieure à la moyenne québécoise, la ville de Saint-Jérôme devrait atteindre les 85 000 habitants en 2023, selon des données mises de l’avant par la ville. Elle devra donc faire face à la densification urbaine, si on se fie à la vision qu’élaborent Marc-Olivier Neveu et une nouvelle garde d’urbanistes, résolument contre l’étalement urbain.

En plus de proposer une solution à la pénurie de logements abordables, cette manière d’occuper l’espace ouvre vers la transition écologique et les transports collectifs ou actifs. « En ce moment, plus que la moitié de la superficie au centre-ville de Saint-Jérôme, c’est du stationnement », s’indigne Marc-Olivier, préoccupé par l’accessibilité au centre autrement que par la voiture. 

Sa vision du futur pour le centre-ville de Saint-Jérôme? Des vélos en libre-service, un maximum de places de stationnement converties en espaces verts, un marché public à longueur d’année, un hôtel avec un centre des congrès en plein centre. Mais si ces projets pourraient stimuler le tourisme à Saint-Jérôme, Marc-Olivier est catégorique: «Il faut surtout rendre le centre plus attractif pour les résidents. »

Lionel Ducreau, ce boulanger qui change le centre-ville de Saint-Jérôme un pain à la fois, déborde en tout cas d’optimisme: « C’est une ville qui a beaucoup de potentiel. Tout est une question de volonté. Quand on veut, on peut! »

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8 réflexions à propos de <i>À Saint-Jérôme, un centre-ville qui a besoin d’amour</i>

  1. Bravo pour ces étudiants de travailler à revaloriser le centre ville qui a besoin d’être habité. Une façon de le faire est de transformer le marché public pour lui permettre d’ouvrir 12 mois par année et ainsi remplacer le Tigre Géant et construire des habitations au dessus des stationnements au centre ville

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  2. Excellente couverture.
    Invitez ces jeunes de nouveau. Ça fait du bien de lire cet article.
    Le journalisme écrit se perd malheureusement…
    Merci de ce texte.
    SVP encore et encore!

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  3. Le gros problème du centre ville de Saint-Jérôme est le manque de stationnement. On tourne en rond pour se rendre dans les commerces. On aime bien marché mais vos places de stationnement sont mal placés ! Vous devriez en faire à côté du tigregeant . Plusieurs pensent comme moi . Vous pourriez régler plusieurs problèmes avec un stationnement à étages.
    Tellement domage d investir autant dans le centre ville et de ne pas pouvoir s y rendre pour aller voir le nouveau jardin sur castonguay. Bien beau se stationner si loin pour aller chercher une bagette de pain !
    Avec cette pandémie qui a fait fermer des commerçants ,ça a donné un peut plus de place .

    P.s j ai habité assez longtemps à mtl pour vous dire que vous ne voulez pas ressemble à mtl .
    Notre centre ville mérite qu on puisse s y rendre pour en profiter .

    Repenser au stationnement et arrêté de rêver en couleur . Stationnement à étage au milieu et le problème est réglé. Comme à Trois-Rivières

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    • En ce qui me concerne, je trouve toujours un endroit pour stationner. Ce idée du manque d’espaces de stationnement est un mythe… même s’il peut arriver parfois qu’on doive se garer un peu plus loin que notre destination.

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  4. Le transport par autobus est maintenant gratuit à Saint-Jérôme, donc les gens sans autos peuvent aller au Maxi St-Anoine ou Métro et revenir au Centre-Ville en autobus. L’idée d’un marché publiqie ouvert toute l’année est bonne pour la population au centre-ville, mais va concentrer tout a la même place et laisser de nombreux AUTRES locaux vacants partout qui sont déjà très vides. Rien n’est simple… il faut faire les changements graduellement.

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  5. Refaire/rafraîchir les artères principales en ajoutant des arrêts aiderait à éliminer les rapides et dangereux, incluant les Bus…
    Références Rue Laviolette être Demartigny et Richard 😉

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  6. Je pense qu’il y a un magnifique terrain au centre ville qui devrait être décontaminé et qui pourrait servir à la construction de logements et maisons à prix moyens!
    Cela remmènerait des résidents qui dynamiserait la ville!

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  7. Nous avions nous-mêmes des préjugés sur la ville de Saint-Jérôme mais voila que depuis 13 mois nous emménager dans le beau Quartier Montmartre où il y plein d’activités tout autour, il fait dire que nous avons quand besoin de ce véhiculer mais sommes proche de tous les services et plus! Chaque jours nous découvrons d’avantages. Le centre-ville a besoin d’amour mais offre un caractère unique et pittoresque , les rues ont besoin de beaucoup de réflexion et rajeunir les façades des commerces du centre en y mettant de la couleur cela pourrait être un programme communautaire qui en ferait la fierté des citoyens 😉

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