Il y a à peine une semaine, le 23 octobre précisément, le iPod a eu 21 ans. Napster, pour ceux qui se souviennent, date de 23 ans. Pour le meilleur ou pour le pire, en 20 ans, la musique est devenue omniprésente et accessible, mais elle est devenue aujourd’hui une industrie de distribution.
TopoLocal fait le choix de s’intéresser à la musique locale. Entrevue avec Alexis Vaillancourt-Chartrand, enseignant de littérature au Cégep de Saint-Jérôme et résident de Gore, qui vient de lancer son tout premier Album.
Bien que le disque soit disponible sur toutes les plateformes habituelles, Alexis Vaillancourt-Chartrand préfère que les gens se le procurent sur Bandcamp. On peut d’ailleurs s’y procurer le CD comme objet physique, pour ceux qui font ce choix.


Votre disque s’appelle « Voilà du nouveau. » Ça va avec le chandail que vois portez! Donc vous avez de la «merch» c’est ça? C’est la première fois que vous faites un disque?
« Un disque, oui. Bon, j’ai souvent composé des chansons dans ma vie, pour toutes sortes de circonstances . D’ailleurs ici, au cégep, il y a une option théâtre dans laquelle j’ai contribué à plusieurs productions, en tant que musicien et en tant que compositeur aussi. Le professeur de théâtre avec qui je me suis bien acoquiné, Patrice Joly, il aime beaucoup ça, mener les étudiants dans la création, et les professeurs aussi.
Encore l’automne passé, on a fait une production très chouette autour des Remarquables oubliés de Serge Bouchard. J’ai composé quatre chansons originales pour ça, avec des personnages de Serge Bouchard dans mes chansons. Bref, ça m’est arrivé de composer, mais d’arriver à un album comme ça, oui, c’est la première fois. »
Et alors arrive votre disque, disponible en CD et, bien sûr, en ligne…
« Je dirais que l’élément déclencheur, c’est ma conjointe. Il est temps que tu aboutisses et que tu fasses un album, a-t-elle dit, parce que j’accumule des chansons depuis des années, au fond depuis que j’étais moi-même étudiant. Je suis entré d’abord au cégep, à Lionel-Groulx, en piano jazz, puis après ça, j’ai bifurqué vers Sciences humaines au Vieux Montréal. Mais j’aurais voulu faire une carrière d’artiste compositeur interprète. Bon, la vie me mené ailleurs. Je suis allé en littérature, mais j’ai toujours continué à pratiquer la musique et là, j’ai accumulé des chansons. J’ai continué à faire ça comme violon d’Ingres.
Et puis, j’ai une bonne amie dont c’est le métier, qui s’appelle Flavie Léger-Roy. ( Flavie Léger-Roy est la productrice dit disque ) Elle est très importante dans cet album là, parce que sans elle, honnêtement, ça serait pas advenu. »
Elle fait des voix sur le disque…
« Oui exactement, elle a agi, bien sûr, comme choriste parce qu’elle, c’est son métier, mais aussi comme guitariste et musicienne. Elle a agi aussi comme directrice artistique, parce qu’il a fallu faire des choix à un moment donné, des choix d’orchestration, des choix d’arrangements. Elle est vraiment à l’affût de tout ça aussi.
De plus, elle a des contacts, et des connaissances parce qu’elle fait ça depuis qu’elle a 25 ans. Donc pour accéder au milieu comme ça, par exemple avoir quelqu’un qui va venir faire des cuivres sur mon album, avoir quelqu’un va venir faire de la contrebasse, ça prend vraiment quelqu’un qui est au fait de tout ça. »
C’est donc un disque fait avec l’aide de plusieurs amis…
« Oui, Flavie a eu un rôle clé dans l’avènement de ça. Et un de mes collègues aussi, Vincent Julien, qui est juste ici au bureau voisin ( l’entrevue a lieu au Cégep ). C’est un guitariste, un très, très bon musicien. On a collaboré ensemble, souvent sur des pièces de théâtre. D’ailleurs, on a même fait ensemble, il y a quelques années, un spectacle ici au Cégep, ensemble pour les étudiants, qui s’appelait Poète, vos chansonniers, un clin d’oeil à Poète, vos papiers ! de Léo Ferré. On a fait plein de poèmes mis en musique, en duo. En passant, sur l’album, il y a deux textes qui ne sont pas de moi, qui sont des poèmes mis en musique. J’aime beaucoup faire ça.
Il y a un extrait de La marche à l’amour de Gaston Miron, et un extrait aussi intitulé Qohélet. C’est un mot qu’on trouve dans la nouvelle traduction de la bible. Une traduction plus littérale et littéraire aussi de l’Ecclésiaste. ( le mot hébreu qohélet signifie celui qui s’adresse à la foule ) Non pas que je sois quelqu’un de religieux, en fait, pas du tout: je suis athée comme une cuillère. Mais ce texte là est fabuleux! Moi, il m’a frappé la première fois que je l’ai découvert ça. Entre autres on y dit regarde, voilà du nouveau, et cela était là de tout temps avant nous.
On comprend que mon titre est une ironie. On présente du nouveau, mais en fait, finalement, rien de nouveau. D’ailleurs dans l’Ecclésiaste, il y a ce verset là qui est très célèbre, rien de nouveau sous le soleil. Moi ce texte-là m’a beaucoup frappé, donc j’ai décidé de le mettre en musique aussi. »
Vos inspirations sont variées et aussi cousues à même la vie quotidienne. Vous avez une chanson par exemple, où tout se passe sur la table de cuisine….
« Oui! C’est parce c’est une chose qui me frappe. Je ne sais pas si c’est un phénomène uniquement Québécois, je ne sais pas, mais en tout cas, c’est sûr que la cuisine est un lieu important pour nous. On a beau avoir toutes sortes de pièces: on se fait un bureau extraordinaire, on se fait un salon, etc. Mais un bureau? On travaille pas dans le bureau, on travaille à la table de cuisine. Un salon? on reçoit pas les gens dedans, c’est dans la cuisine. Tout finit par aboutir sur la table de cuisine. C’est LE lieu. Je ne sais pas pourquoi. Je pense que culturellement, on aime beaucoup la familiarité et on aime aussi la proximité. On peut y faire plein de choses. Enfin bref, cette chanson là, c’est un petit clin d’oeil à ça. »
On y sent aussi votre plaisir à jouer avec le langage, comme par exemple ces paroles où vous évoquez votre tête de mule à faire des vers en ule….
« Oui! Il y a des clins d’oeil. C’est le fun. Même que j’ai caché un vers de Rimbaud dans cette chanson là. La chanson Désenchantée. C’est un vers que j’aime beaucoup du poème Vagabond. C’est un poème qui est en prose. Rimbaud s’adresse à Verlaine. Ils sont en fuite vers l’Angleterre, Verlaine est en train de lui parler des rêves qu’il fait, et il est découragé. Rimbaud écrit moi qui lui avait qui avait promis de la rendre à son état de fils du soleil …mais j’étais jeune, j’étais pressé de trouver le lieu et la formule. Ça m’avait touché cette phrase, donc je l’ai glissé dans le texte. »
Vous avez aussi une chanson qui est une sorte de salut musical à Charles Trenet, non? Je ne suis pas musicien mais les paroles, le débit, la musique?
Rires. « Oui, c’est exactement ça ! »
Comment on fait quand on veut faire un disque sans s’embarquer dans des coûts de production faramineux?
« En fait, on est allé visiter un studio quand même. Mais finalement, pour deux raisons on a décidé de le faire chez moi.
D’abord pour avoir un son de piano qui nous convenait. C’est pas tous les studios qui ont un piano qui plaît. On est d’abord allés où il y avait un piano qui était à moitié électrique, et puis on s’est dit c’est pas ça qu’on veut. Moi, j’ai un vieux piano de 118 ans, qui a une patine.
En second lieu, vu que c’était mon premier album. J’ai écouté mon collègue Vincent, qui lui a fait un album quand il était dans la vingtaine. Il m’a dit c’est très intimidant le studio, chaque heure est a comptée, ça coûte cher. Puis là, il faut que ça y aille.
C’est sûr que moi, comme comme premier album, je comptais beaucoup sur des amis, qui viennent m’aider. C’est ce qui est arrivé. Les gens sont venus faire la cuisine pour nous pendant qu’on enregistrait. Ça a été vraiment collaboratif. Donc c’était plus naturel de faire ça chez moi.
Puis il se trouve que Raphaël D’Amour, un amie de Flavie qui est un super musicien, a un équipement de feu! Il est parti chez nous et a monté un studio. Maintenant, avec les possibilités d’aujourd’hui, c’est moins essentiel d’avoir le gros kit studio. On aime aller chercher justement cette texture là, plus maison. Alors finalement, on a monté ça pendant deux semaines chez moi. Moi, j’habite sur le bord d’un lac à Gore, fait que les gens lors des pauses, allaient faire un tour au lac, c’était pas désagréable du tout. »
Votre album semble bien réussi sur ce plan, on ne sent pas la grosse production quand on l’écoute…
« Oui, oui, oui! Je suis comme ça aussi quand j’écoute de la musique. J’aime beaucoup avoir les chansons nues, un peu. La chanson, elle se tient toute seule. Est- ce que tu as besoin de mettre plein d’affaires dessus? Non, là, elle est belle comme ça. Donc c’était un peu aussi une préoccupation que j’avais, ma conjointe aussi. »
Bon d’accord, on a parlé de votre disque, mais TopoLocal est un média qui s’adresse à vos voisins. Dites-moi, que faites-vous dans les Laurentides? C’est une région que vous avez choisie?
« Exactement ! En fait, d’abord, je viens de l’Outaouais. Je suis né dans la Petite-Nation, puis, jusqu’au milieu de l’adolescence, j’ai habité là. Après ça, jeune adulte, j’étais à Montréal pour les raisons évidentes. L’éducation, la culture, la musique. »
C’est là que ça se passe…
« C’est là que ça se passe, c’est ça. Mais finalement, et c’est encore en lien avec Flavie, ses parents ont une maison à Saint-Hippolyte, sur le bord d’un lac. Quand on allait là des fins de semaine, je ne voulais pas repartir de là. Quel endroit extraordinaire! Et là, je me disais Et il y a le cégep de Saint-Jérôme, pas loin…
Je me suis dit que si j’enseignais au Cégep de Saint-Jérôme, je pourrais vivre dans les Laurentides. C’était comme un plan que j’avais, mais c’était à l’époque un rêve lointain. Et à un moment donné, ma conjointe a fait un doctorat en littérature russe à l’Université de Toronto, donc on a vécu à Toronto deux ans et par chance, un ami dit à une amie qu’il semble qu’on cherche du monde à Saint-Jérôme.
Et là, comme ça, c’est arrivé. Je n’ai postulé qu’à un cégep dans ma vie, et c’est au cégep de Saint-Jérôme. J’y ai travaillé une session, je me suis acheté une maison dans les Laurentides parce que moi, c’était, c’était un coup de cœur. Et s’il y a une chose que je ne regrette pas, c’est bien ça.

On a une vie vraiment heureuse où on est. Pour moi il y a une grosse corrélation entre le milieu de vie et l’épanouissement. À Montréal, je cherchais ma lumière d’une autre manière dans les appartements, toujours enfermé. C’est sûr que pour quelqu’un qui vient de la nature, c’est plus difficile, alors dans les Laurentides, je suis chez moi.
On a parti avec d’autres amis un organisme qui s’appelle Les sentiers de Gore, qui a développé un réseau de sentiers. On a fait, il y a pas longtemps un film autour d’une autrice qui s’appelle Margaret Cooke, qui a écrit sur les pionniers de Gore. Oui, on a fait un film avec ça. J’ai fait aussi la musique thème du film, qui s’appelle Le triomphe de la nature. Alors on est devenus bien Goriens ma blonde puis moi, finalement. »